Justin, surtout, excellait à la blesser. Depuis que sa mère n'était plus là,
voyant l'enfant sans défense, il mettait tout son mauvais esprit à lui rendre le
logis insupportable. La plus ingénieuse torture qu'il inventa fut de parler à
Miette de son père. La pauvre fille, ayant vécu hors du monde, sous la
protection de sa tante, qui avait défendu qu'on prononcat devant elle les mots
de bagne et de forcat, ne comprenait guère le sens de ces mots. Ce fut Justin
qui le lui apprit, en lui racontant à sa manière le meurtre du gendarme et la
condamnation de Chantegreil. Il ne tarissait pas en détails odieux : les forcats
avaient un boulet au pied, ils travaillaient quinze heures par jour, ils
mouraient tous à la peine ; le bagne était un lieu sinistre dont il décrivait
minutieusement toutes les horreurs. Miette l'écoutait, hébétée, les yeux en
larmes. Parfois des violences brusques la soulevaient, et Justin se hatait de
faire un saut en arrière, devant ses poings crispés. Il savourait en gourmand
cette cruelle initiation. Quand son père, pour la moindre négligence,
s'emportait contre l'enfant, il se mettait de la partie, heureux de pouvoir
l'insulter sans danger. Et si elle essayait de se défendre : Va, disait-il, bon
sang ne peut mentir : tu finiras au bagne, comme ton père. Miette sanglotait,
frappée au c?ur, écrasée de honte, sans force. A cette époque, Miette devenait
femme déjà. D'une puberté précoce, elle résista au martyre avec une énergie
extraordinaire.
Elle s'abandonnait rarement, seulement aux heures où ses
fiertés natives mollissaient sous les outrages de son cousin. des rires. La
brave femme, malgré ses brusqueries, l'aimait comme son enfant ; elle lui
défendait de faire les gros travaux dont son mari tentait parfois de la charger,
et elle criait à ce dernier : Ah
tn enfant
noir et blanc ! tu es un habile homme ! Tu ne comprends donc pas, imbécile,
que si tu la fatigues trop aujourd'hui, elle ne pourra rien faire demain ! Cet
argument était décisif. Rébufat baissait la tête et portait lui-même le fardeau
qu'il voulait mettre sur les épaules de la jeune fille. Celle-ci eut vécu
parfaitement heureuse, sous la protection secrète de sa tante Eulalie, sans les
taquineries de son cousin, alors agé de
tn
enfant pa chere seize ans, qui occupait ses paresses à la détester et à la
persécuter sourdement. Les meilleures heures de Justin étaient celles
tn nike
12 où
tn
nike en cuir il parvenait à la faire gronder par quelque rapport gros de
mensonges. Quand il pouvait lui marcher sur les pieds ou la pousser avec
brutalité, en feignant de ne pas l'avoir apercue, il riait, il goutait cette
volupté sournoise des gens qui jouissent béatement du mal des autres. Miette le
regardait alors, avec ses grands yeux noirs d'enfant, d'un regard luisant de
colère et de fierté muette, qui arrêtait les ricanements du lache galopin. Au
fond, il avait une peur atroce de sa cousine. La jeune fille allait atteindre sa
onzième année, lorsque sa tante Eulalie mourut brusquement.